L’exclusivité des droits

20. Jan 2022

« Maman, je dois t’expliquer certaines choses clairement et sans équivoque – quand on prend des chiens, même s’ils sont à deux, il faut aussi s’en occuper, voyons. »

« Mais c’est-ce que nous faisons ! »

« Non, pas toujours comme Bandito et moi-même le souhaiterions. »

« Qu’est-ce que vous souhaiteriez alors ? »

« Votre attention exclusive, la tienne et celle de Papa. C’est notamment ton comportement envers nous qui laisse très souvent à désirer. »

« Oui – mais… Nous vous promenons tous les jours, s’il fait trop mauvais dehors nous faisons les exercices pour l’école canine à la maison et d’ailleurs nous allons à l’école canine avec vous deux fois par semaine. Qu’est-ce que vous voulez en plus ? »

« Que tu arrêtes de parler, de rire, de discuter avec ce machin-truc bizarre dans ta main et parfois même de le consoler. L’autre jour, tu as gaspillé presque deux heures avec ce machin-truc, au lieu de nous gratter doucement derrière les oreilles. »

« Quel machin-truc ? »

« Cette chose bizarre – c’est peut-être même une créature vivante – qui bénéficie du privilège non mérité de trôner sur ton bureau, sur la gauche de ton jouet préféré, l’ordinateur. Et comme si cela ne suffisait pas, tu accoures toujours immédiatement et lui parles avec beaucoup de gentillesse à chaque fois que ce machin-truc se manifeste en criaillant. Même si tu étais en train de manger ou occupée dans la salle de bains. Et maintenant, ce machin-truc semble même avoir eu deux rejetons qui sont juchés chacun sur la droite de ton ordinateur sur le bureau. Eux aussi, ils émettent des fois des bips stridents et tu es toujours très gentille avec eux. Mais nous, les Rateros, nous y étions les premiers et nos droits sont plus anciens et les leurs ! »

« Bon voilà, maintenant je comprends ce qui se passe. Le machin-truc, comme tu l’appelles, est un téléphone, les deux rejetons sont des smartphones. Ce sont des objets, pas d’êtres vivants. Ils doivent nous permettre, à nous autres être humains, à discuter sur de grandes distances. Donc, en réalité, je ne parle pas avec des choses bizarres mais avec des êtres humains qui se trouvent à de grandes distances et qui tiennent, eux aussi, un de tels machins-trucs à la main. »

« Vous êtes vraiment compliqués. Vous ne pouvez pas tout simplement, comme le fait chaque chien normal, lever votre jambe contre un arbre ou un buisson pour y déposer des messages ou hurler comme des loups les nuits de pleine lune ? Ou bien déposer des crottes devant la clôture du jardin ? Ou aboyer devant la porte ? »

« Je crains que cela ne convient pas dans notre monde des humains. De plus, tu as dû surement te rendre compte que je ramasse toujours vos crottes pour les jeter dans la poubelle pour éviter les problèmes avec les autres êtres humains. Car eux, ils n’apprécieraient pas du tout le fait de trouver des crottes qui traînent un peu partout… »

« Ce sont des iconoclastes. »

« Eh bien, les avis sont divisés à ce sujet… En tout cas, je suis obligée de parler avec ces machins-trucs-là sur mon bureau, il n’y a pas moyen de faire autrement. »

« Mais l’autre jour, je t’ai entendu dire à ce machin-truc de ne pas être triste et si tu pouvais faire quelque chose qu’il le dise. Tu n’as encore jamais dit cela à nous ! Et pourtant, nous sommes les personnages les plus importants du monde ! »

« Eh bien, la personne à l’autre bout du fil était triste, mais trop éloignée pour que je puisse l’aider autrement. Quant à vous, pas besoin de vous dire que vous devez-vous manifester en cas de problème. Vous le faites de toutes les manières – et ceci jour et nuit et très souvent à un niveau sonore que l’on ne saurait ignorer. »

« Oui, puisque vous êtes durs de la feuille… »

« En effet, à 3 heures du matin, nous sommes durs de la feuille, dans la plupart du temps… »

« C’est bien ce que je dis – Bandito et moi, nous sommes le centre du monde, mais ce machin-truc là sur ton bureau avec ces deux rejetons passe toujours avant nous – et l’un des deux rejetons nous accompagne même jusqu’à l’école canine. Où sont alors nos privilèges, à nous ? »

« Quels privilèges ? »

« Voyons, ceux-ci qui nous reviennent dès notre naissance. Ne vous aurait-on pas l’expliqué à Majorque quand vous étiez venus nous chercher ? »

« Non, pas vraiment. Il était question de vaccinations et de nourriture, mais ni Papa ni moi-même avions entendu le mot privilèges. »

« C’est dû au fait que vous ne parlez pas l’espagnol. C’est pourquoi, je vais vous l’expliquer encore une fois, très lentement, pour que vous puissiez prendre des notes. Voilà : Bandito et moi-même devons être caressés chaque jour pendant au moins une heure (et ceci chacun de nous) – derrière les oreilles, sur le ventre (cela stimule la digestion) et sur le dos. De plus, il faut tous les soirs nous raconter, avant de dormir et à la voix douce et gentille, une histoire pour nous endormir (et dans laquelle nous sommes les héros). La température de la chambre doit être fixée avec nous, la nature des couvertures sur le canapé aussi. D’ailleurs, le soir, nous nous asseyons tous les quatre sur le canapé, sans ce machin-truc avec ses rejetons. »

« Ah bon, je vois… Et qu’est-ce que je fais si jamais ce machin-truc donne de la voix le soir, lorsque nous sommes tous sur le canapé ? »

« Tu l’ignores royalement afin d’améliorer sa tolérance à la frustration – n’aurais-tu donc pas écouté à l’école canine ? »

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