« Voilà, Bandito et moi, nous venons de débattre du menu de dimanche et nous nous sommes alors mis d’accord sur le menu que nous souhaitons déguster dimanche. »
« Le menu de dimanche ? Depuis quand y-a-t-il un tel plat chez nous ? »
« Exactement, le menu de dimanche. Celui-là sera désormais servi pour les rateros tous les dimanches. Bien entendu, pas le même plat tous les dimanches, ce serait monotone sinon. »
« Tiens donc, alors, raconte… »
« Donc, comme plat principal, nous désirons du bœuf maigre, mais pas cru, car Bandito n’aime pas cela. Il convient que le bœuf soit légèrement cuit quand même, car moi, je n’aime pas qu’il soit cuit jusqu’au bout. Bandito et moi-même y avons débattu pendant un certain temps et sommes finalement convenus de ce qu’il devra être à moitié cuit, ni moins ni plus. »
« J’essaierai d’y veiller… »
« Oui, s’il te plaît. Tu peux bien rajouter quelques feuilles de laurier à l’eau de la cuisson – mais pas trop d’eau pour ne pas affadir le goût – sans pour autant mettre des ognons ni d’ail, comme tu le sais bien, c’est nuisible pour les chiens.
« C’est noté. Et quoi d’autre ? »
« Il convient de retirer les feuilles de laurier avant de servir la viande, car nous ne les aimons pas tous les deux. Tu peux très bien servir quelques pâtes bouillies avec la viande ; de préférence, faire bouillir ces pâtes dans le bouillon avec la viande. D’ailleurs, nous préférons tous les deux les pâtes au riz ou aux pommes de terre. »
« Que pensent ces Messieurs de légumes ? »
« À contrecœur. Si tu y insistes absolument, juste quelques carottes, de préférence également bouillies dans le bouillon pour qu’elles prennent un peu de goût. Tu peux aussi tout à fait les réduire en purée, ainsi, on ne sentira pas tellement ce goût abject de légumes. »
« Je vois, il va falloir que je m’inscrive à un cours de cuisine, car cela signifie visiblement que je dois retirer les carottes cuites du bouillon pour les réduire en purée pour ensuite remettre la purée dans le bouillon … »
« Oui, c’était exactement notre plan. Tout cela, ce n’est pas bien compliqué, tu peux placer les carottes dans une passoire, cela facilite les choses. »
« Merci pour le conseil, Monsieur le Gourmet… »
« Pas de quoi. Une fois le bouillon préparé, tu voudrais bien nous le servir en hors-d’œuvre, mais juste la moitié d’une écuelle pour que nous puissions toujours déguster le plat principal, à savoir la viande avec les pâtes et les carottes. »
« Je comprends. Y-a-t-il alors aussi un dessert ? »
« Mais bien sûr. Selon la saison, nous désirons de la pastèque coupée en petites bouchées (dégrainées), des pommes coupées en petits morceaux (également épépinées et pas de variétés acidulées, de grâce !), des myrtilles, des kiwis épluchés et coupés en petites bouchées (nous préférons les jaunes aux verts) et/ou des poires épépinées et coupées en petits morceaux (bien entendu, seulement des poires bien mures). »
« Eh bien, vous avez concocté un menu bien sophistiqué. Vous vous rendez compte de la charge de travail supplémentaire … ? »
« Et alors ? On fait venir deux pauvres petits rateros totalement défavorisés vivant sous des conditions on ne peut plus misérables à Majorque et on ne veut même pas les gâter un petit peu avec une nourriture respectant leurs besoins ? »
« Oh là, tout doucement et dans l’ordre : vous êtes à deux, vous êtes des rateros et vous venez de Majorque. À la rigueur, on pourrait même vous qualifier de ‘petits’ si l’on compare votre taille physique à celle d’autres races canines, même vous êtes adultes depuis de longues années et assez roublards. – On ne saurait sérieusement parler de ‘défavorisés’ voire même ‘totalement défavorisés’ si l’on regarde de plus près votre niveau de vie. – J’ai du mal à comprendre ce qu’aurait occasionné votre ‘misère’ pour vous deux filous que vous êtes ou y-a-t-il des choses que je ne connais pas encore ? – De plus, une ‘nourriture qui respecte vos besoins’ se compose essentiellement de nourriture pour chiens, tout simplement pour que vous restiez en bonne santé. – Et je pense que si l’on veut parler de ‘gâter’, vous l’êtes chez nous du matin au soir et ceci toute la semaine durant, de lundi à dimanche, sans qu’il ne soit nécessaire que nous préparions un menu spécial à cet effet. »
« Alors, dans ce cas, je dois t’expliquer certains faits bien établis : à Majorque, on ne nous a pas reconnu le rang qui devrait nous revenir tout naturellement en raison de notre naissance. P. ex., on s’est vu refuser pour des motifs inexplicables le droit de dormir au lit. Et comme si cela ne suffisait pas, nous n’avons pas eu de chauffage privé en hiver et notre alimentation laissait, elle aussi, fortement à désirer. »
« Et c’est précisément cette négligence répréhensible et cette vie ne respectant pas vos besoins qui doivent alors être surcompensées maintenant, si je comprends bien… ? »
« On ne saurait parler de ‘surcompensation’, loin de là, mais plutôt d’une situation tout à fait normale, digne de rateros. »
« Bon, d’accord, je vais alors envoyer Papa à la chasse aux courses – chez le traiteur afin d’assurer une situation tout à fait normale, digne de rateros… »